Références Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 1 juin 2011
N° de pourvoi: 09-67805
Publié au bulletin Rejet
M. Charruault, président
Mme Monéger, conseiller rapporteur
M. Chevalier, avocat général
SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu que M. X…, de nationalité tunisienne, et Mme Y…, de nationalités française et tunisienne, se sont mariés en Tunisie en 2002 ; qu’un tribunal a annulé le mariage sur le fondement du droit français pour défaut d’intention matrimoniale de M. X… ; que l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 15 octobre 2008), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 19 septembre 2007, Bull, n° 281), faisant une application distributive des lois personnelles des époux, a confirmé la nullité du mariage ;
Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’avoir prononcé l’annulation du mariage et de l’avoir condamné à payer à Mme Y… des dommages et intérêts, alors, selon le moyen, que les juges ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis d’une loi étrangère ; que les seules unions frappées de nullité par le code du statut personnel tunisien sont, aux termes clairs et précis de l’article 21 de ce code, les unions qui comportent une clause contraire à l’essence du mariage ou qui sont conclues en contravention des dispositions du 1er alinéa de l’article 3, du 1er alinéa de l’article 5 et des dispositions des articles 15, 16, 17, 18, 19 et 20 de ce code ; qu’à l’inverse, les obligations réciproques des époux énumérées par l’article 23 du code ne sont pas édictées à peine de nullité ; qu’en prononçant la nullité du mariage des époux en ce que le mari aurait contracté le mariage sans vouloir assumer les obligations énoncées par l’article 23, la cour d’appel a dénaturé les articles 21 et 23 du code du statut personnel tunisien et a violé l’article 3 du code civil ;
Mais attendu qu’ayant constaté qu’en épousant Mme Y…, M. X… avait poursuivi un but contraire à l’essence même du mariage, savoir obtenir un titre de séjour sur le territoire français sans intention de créer une famille et d’en assumer les charges, c’est par une interprétation que rendait nécessaire l’ambiguïté née du rapprochement des dispositions des articles 3, alinéa 1er, 21 et 23 du code du statut personnel tunisien que la cour d’appel a souverainement estimé que la démarche suivie par M. X… s’analysait en une absence de consentement au mariage au sens du premier de ces textes, en sorte que la sanction de la nullité, édictée par le deuxième était encourue ; que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne M. X… à payer à Mme Y… la somme de 2 500 euros ; rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils pour M. X…
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir prononcé l’annulation du mariage célébré le 3 août 2002 à Msaken (Tunisie) entre M. X… et Mme Y… et condamné le premier à payer à Mme Y… des dommages et intérêts d’un certain montant ;
Aux motifs qu’ « il résulte des pièces versées aux débats, notamment de la carte nationale d’identité de l’épouse, délivrée à Nice le 15 juillet 1999, et de l’extrait de l’acte de mariage délivré le 27 novembre 2002 par le Consul général de France à Tunis qui a procédé à sa transcription sur les registres consulaires français que Sarra Y… était, lors du mariage célébré le 2 août 2002, de nationalité française tandis que Samir X… était de nationalité tunisienne ; qu’aux termes de l’article 3 du code civil, les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger ; que les conditions de validité au fond du mariage sont déterminés par la loi personnelle des époux ; que les conditions de fond du mariage s’apprécient distributivement selon la loi nationale de chacun des époux ; qu’il résulte des dispositions de l’article 180 du code civil, la loi nationale de l’épouse, que le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux ou de l’un d’eux peut être attaqué par celui des deux dont le consentement n’a pas été libre ; que s’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage ; qu’aux termes de l’article 3 du code du statut personnel tunisien, loi nationale de l’époux, le mariage n’est formé que par le consentement des deux époux ; qu’il résulte des dispositions de l’article 21 du même Code qu’est frappée de nullité l’union qui comporte une clause contraire à l’essence même du mariage ou qui est conclue en contravention des dispositions du 1er alinéa de l’article 3 de ce Code, l’article 22 précisant : « Est nulle et de nul effet, sans qu’il soit besoin de recourir au divorce, l’union visée à l’article précédent » ; que l’article 23 du Code du statut personnel tunisien dispose : « chacun des époux doit traiter son conjoint avec bienveillance, vivre en bon rapport avec lui et éviter de lui prêter préjudice. Les deux époux doivent remplir leurs devoirs conjugaux conformément aux usages et à la coutume. Ils coopèrent pour la conduite des affaires de la famille, la bonne éducation des enfants, ainsi que la gestion des affaires de ces derniers y compris l’enseignement, les voyages et les transactions financières. Le mari, en tant que chef de famille, doit subvenir aux besoins de l’épouse et des enfants dans la mesure de ses moyens et selon leur état de santé dans le cadre des composantes de la pension alimentaire. La femme doit contribuer aux charges de la famille si elle a des biens ». Qu’il en résulte que l’essence même du mariage visée à l’article 21 du Code du statut personnel tunisien réside dans l’intention de créer une famille, laquelle suppose une communauté de vie et d’en assumer les charges ; que conformément aux dispositions des articles 21 et 22 de ce Code, l’union contractée sans cette intention est nulle et de nul effet ; qu’il résulte des pièces versées aux débats que Samir X…, gardien de la paix en Tunisie, a demandé à démissionner de ses fonctions le 25 avril 2003, démission qui a été acceptée le 4 juin 2003 ; qu’entré en France le 31 août 2003, il a obtenu une carte de résident valable du 8 octobre 2003 au 7 octobre 2013 ; qu’il a été hébergé par un ami, Belgacem Z…, jusqu’à la fin du mois de décembre, les deux époux ayant signé le 29 décembre 2003, le contrat de location d’un appartement à Nice, location faite avec engagement de cautionnement des parents de l’épouse, Fredj et Naïma Y… ; que c’est à compter de cette date (…) qu’il a cessé tout contact avec Sarra Y…, étudiante, domiciliée chez ses parents ; qu’il ne s’est pas présenté au mariage religieux, fixé au 13 août 2004 à Msaken (…) ; que ces attestations ne sont pas démenties par celles produites par Samir X… qui ne font que rapporter les dires de ce dernier selon lesquels il n’aurait abandonné son emploi de gardien de la paix que par amour pour épouse ; que le refus de Sarra Y…, allégué par l’époux, de rejoindre le domicile conjugal n’est nullement établi par les pièces produites ; (…) ; que dans ces circonstances, il apparait que Samir X… poursuivait en épousant Sarra Y… un but contraire à l’essence même du mariage, à savoir obtenir un titre de séjour sur le territoire français sans aucune intention de créer une famille et d’en assumer les charges ; que dès lors l’union qu’il a contractée, qui comportait une clause tacite contraire à l’essence même du mariage, est nulle au regard des dispositions des articles 21 et 22 du code du statut personnel tunisien ; que le consentement donné lors de cette union par Sarra Y…, qui poursuivait en la contractant une véritable intention matrimoniale, qualité essentielle et déterminante de ce consentement, a été vicié ; que cette union est nulle au regard des dispositions de l’article 180 du code civil pour cause d’erreur sur les qualités essentielles de la personne » (arrêt, pp. 5-7) ;
Alors que les juges ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis d’une loi étrangère ; que les seules unions frappées de nullité par le code du statut personnel tunisien sont, aux termes clairs et précis de l’article 21 de ce code, les unions qui comportent une clause contraire à l’essence du mariage ou qui sont conclues en contravention des dispositions du 1er alinéa de l’article 3, du 1er alinéa de l’article 5 et des dispositions des articles 15, 16, 17, 18, 19 et 20 de ce code ; qu’à l’inverse, les obligations réciproques des époux énumérées par l’article 23 du code ne sont pas édictées à peine de nullité ; qu’en prononçant la nullité du mariage des époux en ce que le mari aurait contracté le mariage sans vouloir assumer les obligations énoncées par l’article 23, la cour d’appel a dénaturé les articles 21 et 23 du code du statut personnel tunisien et a violé l’article 3 du code civil.
Analyse
Publication : Bulletin 2011, I, n° 102
Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 15 octobre 2008
Titrages et résumés : CONFLIT DE LOIS – Statut personnel – Mariage – Conditions de fond – Loi applicable – Détermination – Office du juge – Etendue
Dès lors que selon l’article 3 du code civil, le consentement au mariage d’époux de nationalités différentes doit être apprécié au vu de la loi personnelle de chacun d’eux, une cour d’appel a souverainement estimé, au regard du droit tunisien, que la démarche suivie par l’époux, de nationalité tunisienne, s’analysait en une absence de consentement au mariage, en sorte que la sanction de la nullité du mariage était encourue
MARIAGE – Validité – Conditions – Conditions de fond – Consentement – Appréciation – Conflit de lois – Loi applicable – Détermination –
Office du juge – Etendue
Précédents jurisprudentiels : Sur la recherche par le juge français de la loi étrangère applicable pour les droits indisponibles, dans le même sens que :1re Civ., 19 septembre 2007, pourvoi n° 06-20.208, Bull. 2007, I, n° 281 (cassation), et les arrêts cités. Sur l’appréciation souveraine de l’intention matrimoniale par les juges du fond, dans le même sens que :1re Civ., 9 juillet 2008, pourvoi n° 07-19.079, Bull. 2008, I, n° 193 (rejet), et les arrêts cités